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Par Aymeric Engelhard

Le regard rivé sur l’horizon, assourdi par le fracas des roues du train dans lequel il se trouve, Jim Donovan voit l’impensable. De jeunes allemands tentent de passer le mur séparant Berlin Ouest et Est. Ils s’unissent pour grimper mais sont abattus par les forces militaires.

Comme tous les autres passagers du train, Donovan se lève, horrifié. La Guerre Froide montre là qu’elle ne se déroule pas uniquement dans des bureaux, entre scribouillards et politicards, et que les petites gens en font les frais. Plus tard dans le film, Donovan, le sourire aux lèvres, voit de jeunes américains tout à fait innocents passer un grillage séparant deux jardins. Son sourire s’efface au profit d’une sombre pensée aux évènements allemands. Une autre scène plus intimiste illustre ce propos. Le fils de notre héros montre à son père comment il compte lutter face à la menace nucléaire, avec une baignoire remplie en guise de réserve d’eau car les soviétiques peuvent frapper à tout moment les moyens de ravitaillement dixit sa maîtresse. Certains meurent sous les balles, d’autres vivent dans la paranoïa. Voici la Guerre Froide by Steven Spielberg. Jim Donovan est un avocat hautement réputé. Sa vie oscille entre clients à défendre et vie de famille tranquille à Brooklyn. Mais quand on lui demande d’assurer la défense d’un espion soviétique expatrié, la donne change. D’autant que parallèlement un pilote américain chargé de prendre des clichés de bases russes est capturé. Un imbroglio se met en place, notre homme se retrouve à participer à des rencontres diplomatiques entre Etats-Unis et Allemagne désunie (sous contrôle soviétique) afin de convenir d’un échange entre les deux hommes. Un seul faux pas et c’est la guerre. C’est dans cette situation qu’il découvre l’envers du décor d’un conflit aux allures de bombe à retardement.

Pour ce faire, Spielberg se fait relativement sobre dans sa mise en scène. Il faut dire qu’une très grande partie du métrage fait la part belle aux décors intérieurs, de bureaux, de tribunaux, etc… Mais sa gestion de l’espace et du mouvement de caméra est toujours à ce point supérieure aux autres que ces scènes ne sont jamais rébarbatives. Et quand il se décide à tourner en extérieur, dans une Berlin en cours de séparation, on retrouve carrément la beauté picturale de « La Liste de Schindler » (même chef opérateur il faut dire). Pour la quatrième fois de sa carrière, Spielberg convie Tom Hanks pour incarner un protagoniste fort et très (trop ?) américain. L’acteur est évidemment gigantesque. Il culmine au sein d’une distribution anti-stars de haute volée. On croit aux personnages. Aussi la musique se fait très discrète (exit John Williams pour l’occasion) tout comme les scènes d’action trop faciles. Et dans une époque où le « grand » cinéma américain apparaît boursouflé et gras, étalant sa mélasse de clichés, c’est extrêmement rafraichissant. Le réalisme est de mise. Cela ne fait pas du « Pont des Espions » un documentaire sur la Guerre Froide non plus mais ça contribue à en faire de la très bonne came, absolument recommandable.