Photos © Saby Maviel et DR

Propos recueillis par Alexandre Graton

Saint-Gervais connaît une croissance et une vitalité hors norme. La station thermale qui a accueilli pendant des décennies de nombreuses têtes couronnées se projette résolument vers l’avenir et la jeunesse avec l’implantation de la Folie Douce et du futur Club Med. Des projets qui ont échappé à Megève, sa voisine. Rencontre avec le décapant Jean-Marc Peilleix, maire de la commune depuis 2001. Amateurs de langue de bois et âmes sensibles s’abstenir.

MP : Saint-Gervais est devenu au fil des ans un village de plus en plus agréable à vivre. Etait-ce déjà le cas lors de votre prise de fonctions en 2001 ?
JM Peilleix : Quand j’ai pris les rênes, une presse nationale avait titré : « La belle au bois dormant ». L’enjeu était de réveiller Saint-Gervais et de lui redonner une place dans le panorama des stations d’été et d’hiver.

Quelle était la place de Saint-Gervais, avant de s’endormir ?
C’est une très ancienne station, dont l’âge d’or remonte au début des thermes : en 1806, un notaire trouve la source d’eau chaude dans le parc thermal, une eau chaude un peu odorante. Les thermes sont créés au début du XIXe siècle, alors que les stations françaises sont du XXe siècle. Il s’agissait à l’époque de faire venir ainsi de riches bourgeoises, des Genevoises qui se déplaçaient en diligence pour loger au parc thermal. On n’était pas encore dans le soin médical, on était dans le bien-être. Les gens étaient alors très pauvres, les agriculteurs travaillaient pour les seigneurs ou les religieux. D’où un enrichissement qui débute, des femmes d’agriculteurs qui vont travailler dans de grands hôtels, devenir lingères… Saint-Gervais a commencé comme ça.

Saint-Gervais-0910

D’où, aussi, un village qui grandit et se construit ?
Les hôtels ont débuté leur transformation dans les années 60/70, après la construction du bourg de Saint-Gervais, né dès le début du XIXe en plusieurs périodes. D’où des factures architecturales différentes. Le thermalisme a été la fortune de la commune, mais elle s’est endormie sur cet acquis rapidement, en se disant que les bains étaient une source de revenus inépuisable. Or, la médecine a fait d’énormes progrès qui ont utilisé l’eau thermale pour soigner et non plus pour du bien-être.

Comment a démarré le déclin, la rupture ?
On a eu la catastrophe des Thermes en 1892, la poche d’eau de Tête Rousse qui a balayé le site, fait 200 victimes et sonné le glas de ce thermalisme qui voyait les riches bourgeois, venus au bain, y habiter. Les épisodes suivants de l’activité ont donc été sans le logement. C’est une première rupture. Il y a eu les guerres, mais aussi l’arrivée du train. Il faut en effet souligner que Saint-Gervais est antérieure à l’arrivée du train, ce qui n’est pas le cas de toutes les autres stations qui en ont bénéficié à partir de 1900.

D’où un second développement ?
Oui, il y a eu ensuite un deuxième développement : l’utilisation de ces stations thermales avec du soleil en tant que stations climatiques pour permettre à des enfants de venir s’oxygéner, se soigner. On a  eu cette époque sanitaire avec les préventoriums et une double clientèle de malades, mais aussi de fils de riches ou de politiques dans les collèges aisés d’ici, comme l’Assomption, qui a accueilli toute la bourgeoisie du monde. La reine de Belgique d’hier ou d’aujourd’hui y a fait ses études… La montagne attirait à l’époque pour le grand air, cultiver et s’instruire. Puis on est arrivé à un thermalisme « Sécurité sociale », sanitaire et de santé. Ceux qui n’étaient pas concernés par l’activité médicale ont continué, comme Megève avec la baronne de Rothschild, ou Chamonix qui a développé l’alpinisme. Les communes tournées vers des gens venus pour se retaper, comme Passy, ont décliné dans les années 60.

Avec quelles conséquences concrètes, dès lors, pour Saint-Gervais ?
Les préventoriums ont fermé, les hôtels aussi, transformés en appartements. La génération suivante n’avait pas envie de se tuer à la tâche comme les précédentes. Les parents ont investi dans des résidences secondaires ailleurs plutôt que de remettre à niveau leurs hôtels. On a vendu à la découpe et on a changé de clientèle. La plus consommatrice a été éliminée et Saint-Gervais s’est endormie là-dessus, pensant « je sus la meilleure station du monde. Chamonix, Megève je les jalouse, mais je veux devenir Megève ou Chamonix ». Et ça ne peut pas marcher. On s’est vite fait prendre des parts de marché par les voisins comme les Contamines-Montjoie, qui nous ont dansé sur le ventre pendant des années sur le mode « réservoir à neige », etc…

Comment faire exister Saint-Gervais, entre Chamonix, Megève, les Contamines… ?
En gros je dirais que dans le sud vous avez Sainte-Maxime, Saint-Tropez et Ramatuelle : on est Ramatuelle. L’endroit avec le plus d’authenticité, où les gens sont aussi importants qu’ailleurs mais ne sont pas des m’as-tu-vu, à montrer leurs exploits. Megève, on y va pour se montrer. Il y a à Saint-Gervais un côté plus vivant tout au long de l’année.

Quelle est l’évolution démographique de votre commune ?
Il y a 5 800 habitants, pour 3 500 à Megève. Quand j’ai été élu au conseil municipal en 1983, il y avait plus d’habitants à Megève. Toutes les nationalités qui viennent ici sont des familles. À Megève, les gens viennent pour la réputation internationale. Chamonix s’est donné l’image d’une capitale du sport et maintenant du sport extrême. Quand mes prédécesseurs se sont acharnés à vouloir leur ressembler, ils étaient dans l’erreur. Nous sommes sur des poches de clientèle complémentaires. Le touriste qui vient à Megève va aller faire un tour à l’Aiguille du Midi, le Saint-Gervolain ira voir les vitrines de Megève…

Pourquoi cette inversion de tendance avec Megève ?
A Megève, il y a eu un gonflement artificiel de la valeur des choses qui a fait que les propriétaires se sont dit que ce serait dommage de ne pas en profiter : les Mégevans ont vendu et sont allés habiter ailleurs. Leur commune se retrouve avec la question de savoir comment reconstituer le socle de la vie. On n’a pas une clientèle de zappeur à Saint-Gervais, nos habitués reconstituent ici leur vie familiale. Megève n’ayant plus de vie « hors décors » de décembre à mars et de juillet à août, vous ne pouvez plus avoir une clientèle fidèle, car la vie locale est inexistante. Ici les gens se fondent dans le village. Avant de penser à faire une politique touristique, faisons une vie pour les habitants. On a fait une piscine pour les gens du pays mais dimensionnée pour recevoir plus.

JM Pelleix Megeve people 2016 -2« Si vous faites un décor à la Disney que vous allumez le 15 décembre et que vous éteignez le 15 mars, vous avez la clientèle qui va avec. »

Vous soutenez également les projets destinés à appuyer les racines saint-gervolaines : Haute Tour, réfection des églises…
Si vous faites un décor à la Disney que vous allumez le 15 décembre et que vous éteignez le 15 mars, vous avez la clientèle qui va avec. Quand vous voulez une station paillettes, il faut avoir les moyens d’aller les chercher. Nous, on n’a pas du tout ça, tout est fondé sur de la réalité : on a rénové le château, l’église, construit un pont…

Mais quand on voit le Mont-Blanc des Médias, le festival d’Humour, la Folie Douce, le tournoi des Six Stations… Les paillettes ne vous font pas peur non plus ! Visez-vous à rattraper Megève ?
Nous avons des « people » mais qui ne viennent pas que pour se faire voir. Quand vous avez un produit à faire connaître, il est normal d’essayer de faire en sorte qu’il soit connu. Avec le Mont-Blanc des médias, l’idée était de faire redécouvrir un territoire qui était oublié au travers de l’amitié de Gérard Holtz, Poivre d’Arvor, des gens qui vont faire parler de nous… On n’a pas les moyens de faire une campagne de presse qui n’aurait d’ailleurs pas l’authenticité et le cœur d’un article de journaliste qui est venu.

Votre capacité à aller décrocher des financements, notamment au conseil départemental pour le pont, ont pu agacer. Est-ce une critique ou un compliment ?
Je le prends très bien, venant de gens qui ne sont pas capables d’aller chercher de l’argent. Ils ne sont donc capables que de jalousie. C’est une reconnaissance d’un talent ! Le pont, c’est 70 ans de bataille ! La politique ce n’est pas que régler les affaires courantes, un élu doit avoir de l’imagination et conduire les gens vers quelque chose, accomplir un projet.

C’est une compétence qui va avec un caractère… Ce côté « grande gueule », c’est un choix parce que ça marche, ou simplement parce que vous êtes comme ça ?
C’est une méthode et un caractère… que j’entretiens beaucoup ! Si vous voulez que les gens prêtent attention à vous, ne lisent pas les communiqués de presse en diagonale, c’est le poids des mots. Il faut qu’on fasse attention à vous. C’est une manière de s’exprimer mais c’est aussi moi. La vie est très courte, si c’est pour faire des ronds de jambe ou faire la cour… Si aujourd’hui je ne suis pas député ou ministre, c’est parce que je ne rentre pas dans un moule, que je n’ai pas ciré les pompes de Bernard Accoyer ou de quelqu’un d’autre. La vie publique a bouffé ma vie personnelle.

Saint Gervais - Megeve people 2016
Êtes-vous un professionnel de la politique?
Je ne vis pas de la politique, je suis toujours administrateur de biens aux Contamines, je travaille 12 à 14 heures par jour a minima. C’est une passion.

Vous rapprocher des Contamines, comme l’évoquait le sondage en ligne que vous avez lancé récemment, serait donc un moyen de joindre l’utile à l’agréable ?
Je n’ai pas envie de fusion car on ne peut pas faire de politique de développement sans assise locale ni respect des gens et de leur patrimoine. Je n’imagine pas que Saint-Gervais soit la commune et que les Contamines disparaissent. Dès 2010, je disais qu’il fallait faire des associations de communes en respectant leur identité comme à Lyon, Paris, Marseille, avec des mairies d’arrondissement. Chamonix est un bel exemple, une mairie centrale qui devient prestataire de services des trois autres qui n’ont pas les moyens.

Mais pourquoi ce sondage sans y associer le maire des Contamines, Etienne Jacquet ? Pour le buzz ?
On a jusqu’au 31 décembre pour bénéficier d’un bonus financier de l’Etat. En 2014, le préfet était venu à Megève en communauté de communes et a parlé de réunir les communes, notamment Saint-Gervais et les Contamines. Son maire était là et il n’a rien dit. Le lendemain je m’en suis pris plein la figure dans les médias car M. Jacquet pensait que si quelqu’un devait quelque chose, c’est Saint-Gervais qui était redevable aux Contamines et pas l’inverse. Mais je n’ai pas vu M. Jacquet depuis qu’il est élu ! On avait un projet de centre de biathlon avec financement du conseil général à 30%, on a dû annuler la subvention de 300 000 euros. J’ai financé 30% de la patinoire qu’ils ont faite cet hiver, il ne m’a pas invité à l’inauguration. Donc, aurait-il fallu faire ce sondage avec le maire des Contamines ? Bien sûr. Mais quand on est dans des raisonnements de gens normaux.

Y a-t-il un contentieux ancien entre vous ?
Son beau-père et son oncle par alliance sont les gestionnaires du domaine skiable et créateurs de la station des Contamines. Ils sont gestionnaires des domaines skiables de Saint-Gervais. Il s’est présenté aux élections pour régler des histoires de familles. Il y avait aussi un projet de liaison entre domaines, un syndicat intercommunal a été créé à la demande des Contamines, qui est enclavé. En 2001 j’ai dit que ce serait normal de l’ouvrir à Megève et Demi-Quartier, on a donc modifié les statuts. Depuis 2014, il n’a de cesse de vouloir supprimer ce projet. Il ne siège pas et interdit aux deux autres représentants d’y venir. Comment voulez-vous poser la question d’un rapprochement à quelqu’un que vous ne voyez jamais ?

A ce point-là ?
Il faut savoir que le conseil municipal se déroule dans une ambiance très particulière. Quand il me traite de Poutine… Je ne suis pas Poutine ! On fait des réunions publiques et de quartier régulières. Mais j’en avais un peu assez que, quand je traverse le village, on me demande : « alors, quand est-ce que tu deviens maire des Contamines ? » Je voulais savoir si c’était les trois personnes que je connais qui le disent, ou si des gens le pensent vraiment. Là-haut c’est la terreur, le maire a un fusil dans la voiture ! Personne n’ose s’exprimer frontalement. Il s’agissait donc de savoir.

« Aux Contamines, c’est la terreur. Le maire a un fusil dans la voiture ! »

Ce sondage a-t-il une valeur?
J’avais mis tous les conditionnels pour que personne ne soit heurté, et on a eu un résultat qui était plus qu’un échantillon : 660 personnes ont voté, 11% de la population. Soit aux Contamines 16 à 17%, et 6% à Saint-Gervais. Évidemment les gens ont coché eux-mêmes qu’ils sont des Contamines, de Saint-Gervais ou d’ailleurs. Mais lui a du mobiliser pour voter contre, or seul un tiers à peine des Contamines a voté non. Ça vaut ce que ça vaut. Je lui ai écrit, et à tous les élus. J’attends la réponse. Il ne répondra pas…

Pourquoi être également contre les communautés de communes ?
Je suis contre les communautés de communes qui ne servent qu’à créer des conflits car ce sont forcément des alliances. On le voit en pays du Mont-Blanc, j’ai été le premier président sollicité par les petites communes qui ne voulaient pas du maire de la plus grosse commune… Après une alliance entre les deux plus grosses (Sallanches et Passy, le maire de Sallanches Georges Morand étant l’actuel président, ndlr), en gros, les huit autres sont cocues. On fait du mariage forcé. Ce n’est plus de la communauté de projet mais de la répartition de postes.

Quels sont les enjeux touristiques pressants de Saint-Gervais, les lits touristiques d’abord ?
On s’est replacés aujourd’hui au niveau des grands, on n’est pas Megève ou Chamonix mais on joue dans une cour qui n’est pas loin. On est en train d’imaginer une destination Mont-Blanc de Vallorcine jusqu’à Praz-sur-Arly. Ce qui nous manque aujourd’hui, ce sont des structures d’accueil, des lits. Ceux qui sont obligés de fuir Megève et ses prix surfaits par quelques personnes, sont venus sur la couronne 1400m : Bettex, Communailles, Saint-Nicolas-de-Véroce sur des chalets. Ils sont là. Ce qui nous manque pour le touriste, ce sont les lits d’hôtel. Il nous reste des familiaux, qui ne dépassent pas trois étoiles. Si on veut faire du séminaire, on n’est pas en capacité. Il nous manque des lits, du 4 étoiles. Le 5, ce n’est pas pour nous.

Maison Doux à st Gervais - Megève PeopleLa Maison Doux va bientôt être transformée en hôtel 4 étoiles.

Comment faire ?
J’ai trouvé un bailleur social, et je lui ai dit « maintenant, faites-nous un 4 étoiles ». On a racheté une propriété à l’entrée de Saint-Gervais, une maison particulière, la maison Doux, dont les travaux pour un 4 étoiles commencent en mai. 80 chambres, dont l’immobilier est porté par cette structure. Un gestionnaire viendra ensuite, il y a trois candidats sérieux. L’ouverture est pour 2017, proche du centre-ville et du Tramway du Mont-Blanc. On conserve la partie luxueuse de l’ancien bâtiment qui a accueilli l’Aga Khan, et l’on crée une partie moderne, remise en forme, chambres, restaurant.

Et vous avez aussi l’arrivée de Christophe Lambert…
Oui, sur des terrains entre Bettex et Communailles, constructibles depuis 2005. On souhaite un petit village façon Fermes de Marie. On a quand même mis dix ans ! Mais les autorisations administratives se décident en mai. C’est aussi 80 chambres, un hôtel 4 étoiles, une centaine d’appartements en résidence hôtelière, 600 lits au total. C’est un projet qui doit démarrer et dont le gestionnaire pressenti est effectivement l’acteur Christophe Lambert qui a déjà un hôtel à Aix-en-Provence.

Sur le tourisme, une échéance administrative tombe fin décembre : pas de Schéma de cohérence territoriale (Scot), pas d’Unité touristique nouvelle (UTN). Êtes-vous inquiet pour vos projets en cours ?
Les UTN seront toutes dans les Scot, ça ne veut pas dire qu’il n’y aura plus d’UTN du tout. Mais on n’a même pas encore déterminé de périmètre de Scot en pays du Mont-Blanc. Et faire un Scot prend 4 ans… Ça veut dire plus de nouvelle remontée mécanique à Chamonix, Saint-Gervais, Combloux ou Megève.

Cela met-il en péril votre souhait de voir s’installer le Club Med au Bettex ?
C’est « chaud » car il faut trois mois d’instruction de dossier UTN et cela se termine au 31 décembre. Il faut donc que le dossier soit présenté à la commission avant la fin de l’été. Or les terrains sont privés et les propriétaires pensent avoir la 6ème merveille du monde, et ne comprennent pas qu’au 31 décembre, on ne pourra plus rien faire de leur terrain. Ils pensent trouver quelqu’un d’autre. La négociation avec le Club Med n’est donc pas finie.